Thierry Bodson, président de la FGTB : « Le 28 septembre, réussir le premier rendez-vous syndical post-confinement »

Devenir président d’un des plus grands syndicats du pays en pleine pandémie, alors que nous sommes face à une crise économique d’une ampleur inédite, voilà une tâche lourde... À quelques jours d’une journée de mobilisation nationale en front commun syndical, la première post-confinement, nous avons rencontré celui qui a relevé le défi, Thierry Bodson.

C’est dans son bureau namurois que Thierry Bodson nous reçoit ce mercredi 16 septembre. Un bureau qu’il va très bientôt quitter pour Bruxelles.

Malgré la fatigue, celui qui est dorénavant à la tête d’un syndicat qui compte plus d’1,5 million d’affiliés prend le temps de répondre à chacune de nos nombreuses questions. Et la fatigue est vite oubliée quand on commence à parler de la grève des travailleurs d’AB InBev à Jupille (Liège) : « Je tenais absolument à me rendre sur place parce que ce qui s’est passé est illustratif de beaucoup de choses qui se passent dans les entreprises actuellement (Lire notre reportage ici). C’est un mépris total de la sécurité et du bien-être des travailleurs.

En plus de ça, la direction a fait envoyer un huissier qui est venu donner des astreintes (amendes, NdlR). Le message de la direction est clair : “Si vous ne payez pas les 2 500 euros, on vend votre voiture pour les avoir. ” En dix jours, l’employeur a mis la pression de plus en plus fort. Mais ça n’a pas brisé la combativité des travailleurs. »

En cette période de pandémie, comment trouver des moyens de lutter malgré tout ?

La journée de mobilisation du 28 septembre, c’est le début de la réponse à la question  : comment peut-on faire les choses autrement ?

Thierry Bodson. Il faut avancer pas à pas. Le 28 septembre, on organise une mobilisation en front commun syndical. On veut l’enveloppe pour la liaison au bien-être et défendre la Sécurité sociale (voir encadré plus bas, NdlR). On se dirige vers une vingtaine de rassemblements, dans le respect des mesures sanitaires, limités à 400 personnes par action. L’air de rien, ça fait 8 000 personnes. C’est pas mal. Ce sera une première expérience post-confinement et si on arrive à bien organiser ces rassemblements, ce sera une victoire.

Il y aura un rassemblement à Verviers, à Liège, Herstal, Seraing, Namur, Charleroi, La Louvière, Tournai, Mons, Bruxelles, Bruges, Gand, Anvers, Hasselt, Louvain... On va vraiment couvrir tout le territoire du pays.

Cette journée de mobilisation, il faut la réussir. C’est le début de la réponse à la question : comment peut-on faire les choses autrement ?

Cette journée est-elle aussi un signal envoyé aux formateurs du futur gouvernement ?

Thierry Bodson. Outre les revendications de cette journée, il faut aussi faire passer le message concernant le pouvoir d’achat aux formateurs.

Le chômage temporaire a démontré que vivre avec une allocation équivalente à 70  % du salaire, c’est compliqué. Beaucoup de salariés n’ont touché que le chômage en avril et ils ont dit : « b…, c’est pas simple… » Les travailleurs avec emploi ont un niveau de vie plus élevé qu’un travailleur sans emploi, en moyenne. Mais il ne faut pas oublier que quand on est au chômage, après quelques mois, on se retrouve avec 45 % de la somme de départ, et pas 70 %. Vivre avec 45 % est impossible et il faut arrêter avec la dégressivité des allocations de chômage.

Vous avez eu des mots assez durs sur les négociations PS-N-VA, notamment sur la scission des compétences. Que pensez-vous de ce qui semble être sur la table maintenant ?

Avec une nouvelle réforme de l’État, on va toucher aux outils de solidarité entre les travailleurs

Thierry Bodson. Tout régionaliste que je suis, je n’ai jamais été pour la scission du pays, et certainement pas pour la scission de tous les outils de solidarité entre les travailleurs. Or, aujourd’hui, si on devait aller vers une nouvelle réforme de l’État, immanquablement, on va toucher aux outils de solidarité entre les travailleurs. On va parler des soins de santé, du chômage, du droit du travail, des pensions, de la justice. Il fallait qu’on le dise très clairement – et peut-être que si c’était moi qui le disais, c’était encore plus crédible – que non, ça ne va pas. Pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’on casse la solidarité à l’intérieur du monde du travail et c’est inadmissible. Et la deuxième, c’est simplement de l’efficacité. On met moins de moyens dans quatre soucoupes que dans une grande assiette.

Par rapport à la majorité qui semble se dessiner, la Vivaldi, avez-vous une crainte qu’il y ait un agenda communautaire ?

Thierry Bodson. C’est plus qu’une crainte. Pour avoir un peu connaissance de ce qu’il y avait dans la première (celle de l’accord PS-N-VA, NdlR) et de la deuxième note (celle dont les préformateurs discutent actuellement, NdlR), il n’y a pas énormément de différence. Ce qui me frappe le plus, c’est que les partis libéraux et les verts avaient tiré la sonnette d’alarme par rapport justement aux réformes institutionnelles (prévues par l’accord PS-N-VA, NdlR). Pourtant, ici, on entend qu’il y aura, à tout le moins, une régionalisation des soins de santé – que ce soit en 2022, 2023 ou 2024 – avec deux ministres à qui on attribuerait la préparation de cela... On me dit : « Oui mais dans la première note on parlait de la régionalisation de la justice en plus. » Peut être. Je ne dis pas que c’est sans importance, mais on reste quand même, malheureusement, dans le même schéma.

Vous avez des balises sociales (pension minimum à 1 500 euros nets, salaire minimum à 14 euros de l’heure, etc.). Le message est-il passé auprès des négociateurs ?

C’est pitoyable de venir avec une remise en cause du droit à l’avortement dans le cadre de la formation d’un gouvernement car c’est prendre la moitié de la population belge en otage

Thierry Bodson. Le problème majeur, en dehors des aspects institutionnels, c’est que nous n’avons aucune connaissance d’éventuelles décisions prises en matière de fiscalité ou, plus largement, de nouvelles recettes. Et je pense que si on n’a pas d’info, c’est parce qu’il n’y a pas d’accord. Et donc, on est dans le « syndrome du tax shift ». Dans ce dossier, on a contesté deux choses. La première, c’est que ça allait coûter – et on voit maintenant que c’est bien le cas. Et la deuxième, c’est qu’on finançait en partie d’une main ce que l’on prenait de l’autre puisqu’on augmentait le salaire net et, en même temps, on augmentait la TVA sur l’énergie et on faisait un saut d’index.

Ici, j’entends parler de mesures de « corrections sociales », de refinancement de la Sécu – des sommes assez importantes tant pour ce qui concerne les aspects pensions, refinancement des soins de santé, etc. – mais rien à côté. Or, s’il n’y a rien à côté, on va de nouveau assister à un troc et c’est nous qui allons payer. On va nous reprendre d’une main ce qu’on nous donne de l’autre.

Dans ces négociations, on entend aussi parler de sujets éthiques, comme le droit à l’avortement, ou les droits des femmes en général...

Thierry Bodson. C’est quand même pitoyable de venir avec cette demande-là (le CD&V veut que la prolongation du délais de l’IVG, interruption volontaire de grossesse, ne passe pas au Parlement, NdlR) dans le cadre de la formation d’un gouvernement car c’est prendre la moitié de la population belge en otage. Il faut dire au CD&V et à toutes les forces qui veulent remettre en question le droit des femmes à avorter qu’ils s’inscrivent dans le mouvement polonais (où le gouvernement de droite et d’extrême droite attaque les droits des femmes, NdlR) et les autres qui suivent.

Objectivement, si on gèle durant trois ans ce qui était prévu, l’allongement du délai pour une IVG, on attaque la moitié de la population.

Avec la montée de l’extrême droite, la parole raciste se libère de plus en plus. Comment voyez-vous le rôle d’un syndicat dans une lutte comme l’antiracisme  ?

Je ne dis pas que le gouvernement de la Suédoise est un gouvernement d’extrême droite mais s’il y a 10 pas à faire vers le fascisme, ils ont fait le premier

Thierry Bodson. On a un rôle essentiel à jouer. Mais il faut être plus rapide sur la balle. Une des pires choses que le gouvernement de Charles Michel laisse derrière lui, au delà des coupes claires dans la Sécurité sociale, des attaques contre les travailleurs, les syndicats, etc. c’est qu’il a pris ce chemin-là. Et ça, on ne l’a peut-être pas assez dénoncé. Je ne dis pas que le gouvernement de la Suédoise est un gouvernement d’extrême droite mais s’il y a 10 pas à faire vers le fascisme, ils ont fait le premier.

La meilleure façon de lutter contre la montée de l’extrême droite et du populisme c’est lutter pour plus de protection sociale, plus de pouvoir d’achat, etc. bref, pour que les gens vivent mieux.

Le gouvernement fédéral vient d’annoncer qu’il était d’accord que la Belgique accueille... 12 mineurs suite à l’incendie qui a détruit un camp de réfugié en Grèce. Quelle a été votre réaction quand vous avez entendu la nouvelle  ?

Thierry Bodson. J’écoutais les infos d’une oreille. Sur le coup, je me suis dit ça concernait une petite ville mais pas le pays tellement c’est ridicule. Quelle générosité...

Mais il faut noter qu’il y a de bons réflexes chez les gens. Ce matin, j’étais dans une assemblée à Libramont. Quelques militants un peu plus âgés sont venus me dire :  « Nos parents ont accueilli des Espagnols en 1936. » A l’époque de la guerre civile, on les a accueillis dans les cités ouvrières, et en nombre. C’était autre chose que ce que le gouvernement fait...