Travail 
« sur-mesure » : 
le tailleur attentif aux patrons

Qui ne rêve pas de prendre ses vacances quand il le souhaite, de bosser à la maison le jour où le plombier doit passer, de garder ses récups de cette année pour plus tard ? C’est ce que vend le gouvernement avec son « travail sur mesure ». Mais à la mesure de qui ?

Fin février, le ministre de l’Emploi Kris Peeters (CD&V) a présenté le résultat des discussions avec patrons et syndicats sur le travail « soutenable ». Son vocabulaire est habilement choisi. Il va « moderniser » le droit du travail. Il promet de « tenir compte du parcours individuel de chacun ». Le travail deviendrait ainsi « sur mesure ». Mais la mesure des salariés n’est pas toujours la même que celle des patrons.

Kris Peeters veut créer un cadre qui permet de réaliser des expériences dans les entreprises, pour en faire des lois par la suite. Cela rendrait inutiles les accords interprofessionnels et les conventions collectives de travail nationales, ce que l’Union européenne demande depuis 2011. Et, si patrons et syndicats n’arrivent pas à se mettre d’accord, c’est le gouvernement qui tranchera. En fait, cette réforme détruira les droits collectifs des travailleurs et mettra en place un système où chaque travailleur se retrouvera seul face à son patron, avec la possibilité d’être ultraflexible.

Flexi-jobs et contrats zéro heure

Des horaires de travail ultraflexibles et connus la veille, des heures de travail non précisées dans le contrat... Voilà la réforme du travail à temps partiel voulue par le ministre Peeters.

Comment encore combiner vie professionnelle et vie privée ? Comment prendre rendez-vous chez le dentiste pour les enfants, aller les chercher à l’école, organiser une fête d’anniversaire, ou encore aller au cours du soir, quand le patron peut vous appeler pour vous obliger à venir travailler le lendemain ?

Ménager les intérêts du travailleur, de son patron et du client, c’est la quadrature du cercle. Quand les entreprises commerciales décident d’ouvrir les magasins sept jours sur sept ou de livrer le client dans les 24h pour augmenter leurs bénéfices, elles imposent les horaires de dimanche et de nuit aux travailleurs. Les femmes, qui sont sur-représentées dans les temps partiels, risquent d’être obligées de renoncer à leur emploi. Ce sera le retour de la femme au foyer. On se demande où reste la fibre sociale du ministre, dont le parti s’autoproclamait récemment « le plus féministe » des partis politiques.

La carrière dans un sac à dos

Chaque travailleur pourrait accumuler sur un compte-carrière du temps (des jours de vacances extra-légales, des récupérations...) et de l’argent (prime de fin d’année, etc.) afin de pouvoir aménager et financer une interruption de travail au moment où ça l’arrange. Une proposition alléchante, mais, en même temps, Kris Peeters veut ré-organiser les différentes sortes de congés qui existent en-dehors des vacances annuelles et jours fériés légaux. L’idée est que le travailleur doit financer lui-même ses interruptions de carrière plutôt que de les considérer comme un droit collectif. Cela signifie encore une fois que ce sera en négociant seul face au patron que vous pourrez déterminer quand vous partez en vacances. Et, si ça ne l’arrange pas, ce ne sera peut-être pas cette année.

Ce qui compte, c’est le résultat, pas les heures

Quand un sommet européen se prolonge, l’équipe de la télévision publique flamande VRT est changée toutes les 8 heures, tandis que celle de VTM (privée) reste sur place. Pour le ministre, il faut généraliser la pratique de VTM : « Ce qui compte c’est le résultat, et pas le moment où la prestation est livrée ». Allez dire ça aux travailleurs qui veulent passer un peu de temps avec les enfants. Résultat : fini les horaires définis, fini les récupérations, les heures supplémentaires...

Même chose pour le télétravail, que le ministre propose de légaliser. En théorie, pour éviter de perdre du temps dans les embouteillages, pour ne pas engager de garde d’enfant malade, etc. Cependant, le travailleur est alors seul chez lui, il reçoit une liste de tâches à accomplir, et peu importe le temps que ça lui prend.

Après le Win for life, l’Interim for life

L’intérim est pour la majorité des jeunes la seule façon de rentrer dans la vie active. Mais impossible d’obtenir un prêt pour acheter une voiture ou une maison. Kris Peeters prétend avoir la solution : un CDI à l’intérim. Une solution ? Voici ce que Jérôme, ouvrier polyvalent de 31 ans, dit de son expérience d’intérim : « Á chaque fois qu’on me dit de ne pas revenir la semaine suivante, j’ai l’impression que c’est de ma faute. Il faut chaque fois réapprendre une procédure de travail, se réadapter à une équipe, se réorganiser au niveau des transports, de sa vie de famille… Ça finit par vous rendre physiquement malade. J’ai perdu mes cheveux, j’ai de plus en plus souvent des problèmes d’estomac. On en arrive à perdre sa dignité. »

Par ailleurs, le travailleur qui refuse une mission, parce que l’horaire ou le lieu de travail proposé ne lui permet pas d’organiser sa vie de famille, pourrait être considéré comme responsable de la rupture du contrat. Quels seront alors ses droits au chômage ? Normalement, l’intérimaire est payé selon le barème et les avantages extra-légaux en vigueur chez le commanditaire de la mission. Si l’agence d’intérim est l’employeur du CDI, qu’en sera-t-il ?

30 heures semaine, réponse à l’incertitude permanente

Kris Peeters a aussi dans ses cartons une formule pour calculer le temps de travail à l’année et plus à la semaine, la légalisation des faux-indépendants avec un statut de travailleur autonome, des réformes des indemnités de licenciement, etc. Pas de quoi rassurer ceux qui veulent un travail vraiment soutenable.

Mais il est possible de faire autrement : instaurer la semaine de 30 heures pour tous. Cela permet de combiner au mieux vie professionnelle et familiale, d’aller travailler avec motivation, de ne pas s’épuiser au travail, et de créer des emplois. Qu’y a-t-il de plus moderne que de travailler tous et de vivre mieux ?

Article publié dans le mensuel Solidaire d’avril 2016. Abonnement.