Un magnat des médias veut troquer la démocratie contre le néolibéralisme autoritaire

Dans son essai Plaidoyer pour une rénovation politique (publié par le think tank de droite Itinera), Christophe Convent, secrétaire général du groupe DPG Media, explique comment il entend revoir les règles de notre démocratie. Mais au lieu de la renforcer, il l'affaiblit. Son but, en réalité, est que le libre marché échappe à tout contrôle.

Dans La Lucidité, roman de l’auteur portugais José Saramago paru en 2004, des élections ont lieu, et sept votes sur dix sont des votes blancs. Nouvelle tentative… Et le taux de vote blanc s’élève ensuite à huit sur dix. Ceux qui sont au pouvoir décident alors de remplacer le droit de vote et le secret du scrutin par l’obligation de voter pour un « parti reconnu ». Dans son Plaidoyer pour une rénovation politique, le magnat des médias Christophe Convent se chauffe du même bois. Selon lui, ce sont les électeurs votent mal : dans l’isoloir, ils suivent leur cœur, et non leur raison. Leur vote est « beaucoup plus radical que ne l’est leur conviction réelle ».

C’est pourquoi il estime que le système du scrutin proportionnel doit être oublié. Mettre en place le scrutin majoritaire permettrait, selon lui, de mettre un terme à la « fragmentation du paysage politique » et de fournir des « gouvernements stables et efficaces » constitués « de plus grands partis centristes ». Mais si les gens tournent le dos aux partis politiques traditionnels, ne serait-ce pas tout simplement par mécontentement après des décennies de politique néolibérale ? Cette piste, Convent ne l’explore pas. Non, pour lui, ce n’est pas la politique qui pose problème, mais le système électoral.

Son plaidoyer ne mentionne pas le fait que la fragmentation dans ce pays résulte surtout de la scission communautaire des partis, et encore moins que le seuil électoral des 5 % rend presque impossible la percée de petits partis.

Le Parlement n'est pas une administration

La logique du « winner takes it all » (« le gagnant remporte tout ») nous prive de la démocratie, dans le sens premier du terme, c’est à dire le « pouvoir du peuple ». Dans un scrutin majoritaire, l’opinion de millions d’électeurs n’est pas prise en compte. Les voix des « perdants » sont tout simplement… perdues. Le paysage politique évolue ainsi vers deux partis dominants, quasiment interchangeables. De nombreux électeurs se retrouvent alors à devoir voter pour « le moins pire », bien souvent à contrecœur.

Cependant, le Parlement est avant tout une représentation, et non une administration. Seul un système électoral proportionnel permet de refléter, au sein du Parlement, toute la palette des couleurs politiques qui existent dans la société.

Une démocratie réduite

Le « bicamérisme fonctionnel » que Convent propose, démontre le véritable enjeu de sa réforme. La Chambre, élue par scrutin majoritaire, se chargerait de l’investiture et du contrôle du gouvernement. En-dehors de cela, ses compétences se limiteraient au budget, à la fiscalité et à la sécurité sociale, « vu l’importance déterminante de ces deux matières pour les finances publiques ». Tous les autres domaines de la législation iraient au Sénat. Et, fait remarquable, ce dernier « doit être aussi représentatif que possible de tous les courants de la société »…

En réalité, ce que veut Christophe Convent, c’est sortir la politique financière et socio-économique du débat politique à la Chambre. Son but principal est de préserver la gestion du libre-marché de toute politique conflictuelle. Il ne renforce pas la démocratie : il la réduit.

L’Union européenne a enfermé les États-membres dans un carcan monétaire et budgétaire. Convent veut taire les voix dissonantes dans un Parlement qui se conforme au marché, et qui ne remet pas en question la domination libérale. Cela s’inscrit parfaitement dans l’esprit de ce qu’avait déclaré l’ancien président de la Commission, Jean-Claude Juncker : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

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D’autres réformes sont nécessaires

Cela devient d’autant plus clair dans ses autres propositions. Même dans un scrutin majoritaire, Convent n’a aucun problème avec l’idée d’un gouvernement minoritaire. Si au bout de trois mois, aucun gouvernement n’est formé, une coalition rassemblant 45 % des sièges peut voir le jour et, au-delà de six mois, 40 % des sièges suffisent. Un « référendum correctif » peut remettre en question les décisions du Sénat, mais celles de la Chambre sont gravées dans le marbre et ne peuvent être rejetées par le peuple. C’est très clair : aux yeux de Convent, les thèmes financiers et sociaux doivent rester dans les mains des élites économiques et politiques, protégées de la représentation démocratique, protégées de la sanctions des électeurs. Un tel système porte un nom dans la littérature scientifique : le « (néo)libéralisme autoritaire ».

D’un point de vue historique, il revient à des idées qui circulaient également parmi les élites, après l’instauration du suffrage universel et l’émergence de partis socialistes, au début du XXe siècle.

Le PTB estime, pour sa part, que d’autres réformes s’imposent pour renforcer la démocratie : réduire les salaires faramineux des politiciens, fermer les portes tournantes entre la sphère politique et les grandes entreprises, restreindre les cabinets, mettre en place le référendum d'initiative citoyenne, supprimer le seuil électoral et réduire fortement le financement extraordinairement élevé des partis politiques. Cette dernière proposition, Convent la formule également. Il s’agit là de la seule proposition de son étude dans laquelle le PTB peut se retrouver.

L'empire médiatique DPG

DPG Media est le plus grand groupe de médias en Belgique. Elle possède, entre autres, la chaîne flamande VTM, les quotidiens Het Laatste Nieuws et De Morgen, le magazine Flair ou encore 7sur7. Le gouvernement flamand vient de lui accorder une subvention de 996 000 euros. Cela a suscité beaucoup de critiques. Pourquoi un groupe médiatique rentable devrait-il recevoir une telle subvention, alors que tant de secteurs s’écroulent sous les conséquences de la crise du coronavirus ?
DPG Media a fait 1,64 milliard d'euros de chiffre d'affaires et un bénéfice net de 129 millions d'euros l'année dernière. Sur la période 2015-2018, DPG Media a versé 136 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires. Par ailleurs, il n'hésite pas à économiser sur le dos du personnel : 101 travailleurs ont été licenciés en 2019.