5 ans après les attentats du 22 mars : les victimes ne peuvent pas être abandonnées à leur sort

Le 22 mars 2016, Bruxelles est secouée par des attaques terroristes. L’horreur révèle aussi des héros : Wim, agent de sécurité à l’aéroport, sauve la vie d’Abdallah, bagagiste. Cinq ans plus tard, les plaies ne sont pas encore totalement refermées : de nombreuses victimes ont le sentiment d’avoir été oubliées par le gouvernement. Après ce qu’elles ont vécu, elles doivent encore se battre pour leurs droits.

« Les scènes repassent dans ma tête comme un film »

Wim est agent de sécurité chez G4S à l’aéroport de Zaventem depuis vingt-trois ans. Il y a cinq ans, au moment de l’attentat, il est dans les bureaux de G4S, près du hall des départs. Soudain, une explosion assourdissante, immédiatement suivie d’une seconde. Wim sent qu’une catastrophe s’est produite et se rue vers le hall des départs. Ce qu’il y voit restera gravé en lui pour le reste de sa vie.

Wim commence immédiatement à aider aux premiers soins et au transport des victimes gravement blessées. Cette journée, il la portera en lui pour toujours. Cinq ans après ce jour noir dans l’histoire de l’aéroport, et de tout le pays, Wim a raconté son histoire à Maria Vindevoghel, députée PTB :

« Je n’en parle pas souvent, mais dans l’ensemble, je m’en suis bien sorti au plan psychologique. Chaque année, à l’approche de cette date, cela me hante à nouveau énormément. Les médias en reparlent et tout ressurgit. Je n’oublierai jamais ce jour, et les scènes que j’ai vues repassent alors dans ma tête comme un film.

Notre employeur, G4S, a immédiatement offert le soutien psychologique nécessaire. Des discussions de groupe ont eu lieu avec des psychologues et des personnes de l’aide aux victimes. Cela ne s’est pas passé aussi bien dans toutes les entreprises. Chez Brussels Airport aussi, les gens ont été abandonnés à leur sort. Je peux dire que la manière d’agir de G4S, le soutien psychologique et l’accompagnement m’ont vraiment aidé. Mes collègues m’ont également beaucoup apporté. Cela a certainement contribué au fait que je m’en sois bien sorti. Bien sûr, moi, je n’ai pas été blessé physiquement. Mes blessures sont plutôt psychologiques.

Abdallah est l’une des personnes que j’ai aidées à porter dehors. Quand j’entends comment des personnes comme Abdallah, des personnes qui ont souvent été gravement blessées physiquement et psychologiquement, sont abandonnées à leur sort dans la bataille des procédures avec les compagnies d’assurance... Cela me met très en colère ! Le gouvernement devrait protéger ces personnes. Il devrait indemniser les victimes par le biais d’un système de tiers payant, et ensuite prendre en charge les procédures judiciaires avec les compagnies d’assurance. Je trouve que c’est une honte de laisser tomber les gens comme ça.

Peu d’intérêt de la direction de l’aéroport pour la santé et la sécurité

Les six premiers mois, il y a eu des contrôles très stricts. Seules les personnes qui avaient une raison de se trouver à l’aéroport étaient autorisées à y accéder, et les bagages passaient un contrôle de détection d’explosifs avant de pouvoir être emportés dans le bâtiment. Maintenant, tout le monde peut entrer et sortir du hall des départs sans être contrôlé. Je ne peux pas exclure la possibilité que cela se reproduise.

Personnellement, je pense que l’opérateur de l’aéroport n’a pas tiré suffisamment de leçons des attentats. Par exemple, je ne trouve pas que ce soit une bonne idée que le personnel doive utiliser la même entrée que les passagers. Pendant les périodes de forte affluence, nous faisons souvent la file à l’entrée avec les passagers. Cela me met toujours très mal à l’aise. Au parking du personnel, nous devons prendre une navette jusqu’à l’aéroport. Quand le bus s’arrête sur notre parking, il est souvent déjà complétement rempli de passagers. Je pense que cela devrait être scindé.

De manière générale, je pense que Brussels Airport se soucie peu de la santé et de la sécurité des personnes qui y travaillent. Peu après les attentats, une concertation a été organisée entre la BAC (Brussels Airport Company), les différentes entreprises et les syndicats de l’aéroport. Une telle concertation devrait avoir lieu tous les mois. De cette manière, les problèmes structurels peuvent recevoir une solution structurelle, et les crises telles que les attentats, mais aussi l’actuelle pandémie de coronavirus peuvent être abordées de manière globale.

Je pense que la chose la plus importante maintenant est d’aider les victimes. Moi-même, je ne peux pas me plaindre, je m’en suis bien sorti, mais les personnes qui ont été blessées ou qui ont perdu quelqu’un ne devraient pas être laissées-pour-compte. »
 

Le combat d’Abdallah, abandonné par l’État

Abdallah Lahlali et son épouse Loubna Selassi, parents de Nouhad (14 ans) et Sofiane (13 ans) n’oublieront jamais la journée du 22 mars 2016. Ce jour-là, Abdallah a été victime des actes terroristes qui ont eu lieu à l’aéroport de Zaventem. Depuis 2008, il travaillait en tant que bagagiste pour les colis spéciaux chez Swissport. Nabil Boukili, député PTB au Parlement fédéral et membre de la commission Justice, les a rencontrés.

Aujourd’hui encore, Abdallah a les larmes aux yeux lorsqu’il s’agit d’évoquer son histoire. « C’est trop dur pour moi », dit-il. Son épouse, Loubna, lui prête alors ses mots : « Il commençait toujours très tôt. Il adorait son travail. Il connaissait tout le monde. À 7h58, il était dans le hall des départs. Dans la rangée 11. C’est là qu’il y a eu la première bombe. Il a été touché. Il se souvient de tout. Il est resté conscient malgré ses blessures. » Loubna raconte ensuite qu’elle a passé la journée à chercher son mari dans tous les hôpitaux de Belgique. Ce n’est qu’à 18h qu’elle l’a retrouvé, à l’hôpital d’Anvers, amputé d’un jambe et brûlé à divers endroits du corps. Abdallah restera 3 mois à l’hôpital et subira de nombreuses opérations.

Cette journée de cauchemar n’a malheureusement jamais pris fin pour cette famille. L’enfer a laissé place à l’injustice. « Nous avons été abandonnés par l’État, affirme Abdallah. Il n’y a pas un jour où on se dit qu’on a vraiment été aidés. Les victimes des attentats ont été laissées aux mains des assurances qui ne pensent qu’à faire du profit. Cela fait 5 ans que nous devons batailler et introduire des recours afin de faire valoir nos droits. Et nous manquons toujours de soutien et d’informations de la part de l’État. »

Dans l’aéroport, il n’y a plus de traces visibles. Tout semble avoir repris son cours. Mais pour tous ces hommes et femmes, victimes directes ou indirectes, rien n’a changé.

« C’est la loi de la jungle, assène Loubna. On subit tellement de pression et de manque de respect de la part des assurances et médecins experts… Ils n’ont aucune limite. Ces médecins devraient nous aider à lire et comprendre les arcanes des sociétés d’assurance, mais au lieu de cela, nous sommes examinés, scrutés, soupçonnés d’être d’éventuels manipulateurs. » « J’ai souvent l’impression de ne pas être traité comme une victime mais plutôt un terroriste », déclare Abdallah. La famille doit vivre dans le ballet interminable des rendez-vous médicaux et des expertises.

« À côté de ça, on est également constamment en procédure judiciaire avec les assurances.

En septembre 2020, l’assureur-loi (l’assureur de l’employeur chargé de vérifier les faits et d’indemniser dans le cadre d’un accident de travail, NdlR) s’est permis de suspendre mon salaire durant deux mois sans aucune raison valable. En janvier 2021, une nouvelle expertise psychiatrique à eu lieu, à Liège cette fois. Je devais répondre à plusieurs questionnaires de test de personnalité reprenant plus de 300 questions… En février, j’ai reçu une carte de stationnement « PMR » d’une durée de validité de seulement deux ans. Je vous laisse imaginer les démarches qui ont suivi… Et cela fait des années que nous sommes en attente de l’aménagement d’une salle de douche et d’un monte-escalier. »

Plongé dans un quotidien inextricable, le couple peine à payer les honoraires d’avocats et se voit entravé dans son accès à la Justice. Loubna déplore : « Cela nous demande tellement d’énergie et de temps de défendre nos droits. C’est une charge mentale supplémentaire qui freine la reconstruction de notre famille. »

Nabil Boukili est indigné par la façon dont la famille est traitée par l’État : « Dans les attentats du 22 mars, tout le monde aurait pu être une victime. C’est une responsabilité collective de vous offrir une protection optimale de votre droit à la santé, votre droit à une indemnisation rapide ou votre droit à un accès à la Justice. »

Nabil Boukili portera le témoignage de la famille Lahlali-Selassi à l’attention du ministre de la Justice, ainsi que les revendications des victimes. Le PTB demande en priorité la création d’un fonds de garantie qui fasse office de « guichet unique » et la mise en place d’une expertise unique. (Voir encadré)