Carnets solidaires | Laurent : « Plus de deux mois et demi après, on vide encore des caves »

Après les inondations qui ont frappé notre pays, ils et elles ont intégré les SolidariTeams du PTB aux quatre coins du pays pour venir en aide aux personnes sinistrées. Manches retroussées et bottes aux pieds, ces bénévoles ont montré qu’ensemble, on est plus forts. Solidaire relaie les témoignages de ces travailleuses et travailleurs au grand cœur.

Laurent Cailleaux, 29 ans, habite dans une rue modeste à Flénu, dans le Borinage. La pauvreté, dans le quartier, il connaît. C’est peut-être ça qui l’a poussé à aller aider des gens qui auraient pu être des voisins...

«  Mon patron nous a tous envoyés à Chaudfontaine pour aider les sinistrés »

« La première journée où je suis allé aider les sinistrés, c’était le vendredi 16 juillet avec les ouvriers de mon entreprise. Mon patron nous a tous envoyés à Chaudfontaine pour aider les sinistrés. Ouvriers et employés, on était environ 50. C’était mon dernier jour de travail. Après, j’ai consacré mon mois de vacances entièrement à aider les victimes des inondations.

Mais je suis loin d’être le seul, beaucoup ont aidé ou aident encore : carreleurs, des électriciens, des chauffagistes, des chefs d’équipe... On fait des chaînes humaines, on vide les boues des caves, des rez de chaussées.

Ce qui nous pousse à aller aider est la détresse des gens, même s’ils vivent à 150 km de chez nous. Il faut qu’ils vivent au minimum dans une maison saine, et pas pleine de boue.

« Les égouts ont débordé, ça sent toujours »

Le problème est que je n’ai pas de voiture. La première fois, j’ai pris le train pour Chênée. Après, je suis allé à Angleur, Pepinster, à Namur. Puis à

Verviers, Ensival, Goffontaine. Je regardais sur internet s’il y avait des départs organisés, en covoiturage ou en car. Un jour, j’ai pris le car qui partait à 6h30 de Dour, il était rempli de bénévoles, c’était pour Namur. Parfois, j’ai amené des copains de Mons.

J’ai fait venir aussi 1500 taques chauffantes de Mons, avec des petites bonbonnes de gaz. J’avais fait une cagnotte. J’ai été voir mes amis dans les alentours de Mons. On a tous mis une centaine d’euros, on a su acheter 1000 taques. Et le magasin en a offert 500. Un ami les a amenés à Pepinster en camionnette.

Plus de deux mois et demi après, on vide encore des caves et des rez-de-chaussée et on les nettoie au Karcher. Ou bien on retire le plâtre des murs. Il faut mettre tous les murs à nu pour enlever l’eau des briques, avant de pouvoir plafonner. Dans beaucoup de maisons, il ne suffit pas de déshumidifier, parce qu’il y a des hydrocarbures dans l’eau qui amènent la mérule. Même après le déplâtrage, ça sent encore le mazout, l’essence, le diesel. Et les égouts ont débordé, ça sent toujours aussi…

« Après mes congés, j’ai voulu continuer »

Après mes congés, j’ai voulu continuer. Mon patron comprend mes motivations. Il m’a donné mon C4 et m’a dit que si je voulais revenir après, je serais toujours le bienvenu. Je savais que j’allais devoir faire attention car j’allais dépendre du CPAS mais ce n’est pas grave, c’est temporaire. Les familles sinistrées, elles, doivent retrouver rapidement un logement sec. Et si un jour, cela devait nous arriver à nous, elles seront là. L’entraide est présent partout dans ce pays.

Depuis quelques semaines, je reste à Pepinster. J’ai une tente dans le jardin d’une dame, j’y reste toute la semaine. Elle est contente, comme ça je surveille sa maison pendant qu’elle loge dans sa famille en attendant les travaux. Je mange avec les sinistrés les plats des militaires. Comme ça, je suis au plus près des sinistrés.

Les habitants se sont bien organisés. La gare est désaffectée, des citoyens l’ont ouverte pour en faire un centre de crise. C’est donc un mouvement de citoyens qui y a distribué de la nourriture et des repas dès le début. Maintenant ils distribuent des meubles.

Trois fois par jour, il y a un briefing entre les bénévoles pour voir ce qui a été, ce qui n’a pas été, ce qu’il faut encore faire… Ça permet d’avancer sans disputes. Tout le monde mange ensemble, tout le monde rigole ensemble.

Évidemment, il y a des moments plus difficiles. Á la fin du mois, la détresse des gens se fait sentir. Plusieurs bénévoles sont eux-mêmes des sinistrés. Et les gens touchés sont le plus souvent des familles populaires, avec des soucis d’argent qui étaient déjà présents avant les inondations.

« L’action des autorités est insuffisante »

L’action des autorités est totalement insuffisante. Par exemple, il faudrait garder les militaires sur place au moins pour 6 mois encore. Attendre que l’hiver soit passé. Et que les foyers aient récupéré du gaz.

Un des besoins les plus grands est d’écouter les gens. Les gens ont besoin de parler. Ils sont traumatisés. Dès qu’il pleut, même en pleine nuit, tous les gens sortent. Ils vont voir la Hoëgne ou la Vesdre pour voir si l’eau ne monte pas. Dès qu’ils entendent parler de pluie, ils montent tout ce qu’ils peuvent sauver. Des réflexes qui vont sûrement encore rester longtemps. J’ai parlé avec une fille de 8 ans qui m’a dit : « J’ai vu des gens flotter »...

Le mouvement citoyen organise des fêtes, tous les vendredis ou les samedis, aussi pour les enfants, pour leur remonter le moral, leur faire penser à autre chose. On fait un petit barbecue, on se regroupe tous ensemble. On se fait plein d’amis ! Presque toute la rue me connaît maintenant. Et quand je retourne dans ma tente le soir, je retrouve parfois de l’argent mis sous la toile !

« J’appelle les gens qui le peuvent à venir encore »

Les besoins sont encore énormes. Il faut d’urgence des chauffages électriques et des cuisinières électriques d’appoint, en attendant que le gaz arrive à nouveau. Et j’appelle les gens qui le peuvent à venir encore. Pour vider encore des caves, nettoyer, déplâtrer. Ce serait mieux s’il y avait du renfort de professionnels. Il faudrait plus de personnel à la Protection civile et chez les pompiers. Mais pour ça, il faut manifester. Je voudrais bien lancer une manifestation, mais j’ai trop de travail dans les maisons ici.