Le digne combat d’Ayoub Bouda, frère de Mehdi, tué par une voiture de police

Août 2019, Mehdi Bouda (17 ans) est tué par une voiture de police. Son frère Ayoub se bat pour obtenir des explications et la justice. Depuis la mort de George Floyd aux États-Unis, qui a déclenché un mouvement mondial contre le racisme et les violences policières, il enchaîne les interviews. Car, à une autre échelle, la Belgique n’est pas épargnée par ce problème. Rencontre.

Vous menez un combat pour votre frère, tué par une voiture de police. Pouvez-vous nous expliquer les circonstances de la mort de votre frère ?

Un journaliste est venu chez nous avant la police pour nous dire que mon frère était mort.

Ayoub Bouda. Mon frère a été percuté par une voiture de police, qui roulait à du 100 km/heure sans sirènes au centre-ville de Bruxelles. La version policière dit qu'il fuyait un contrôle de police et qu'une voiture de police qui passait par là l'a malencontreusement percuté. Seulement 11 heures après le décès de Mehdi, des policiers ont annoncé la mauvaise nouvelle à ma mère. Les policiers ont dit à ma mère : « Votre fils a été impliqué dans un accident de voiture et il y a des victimes. On ne sait pas qui c'est. » Ensuite, ils ont rappelé pour lui annoncer la mort de mon frère. On n'a pas eu plus d'explications par rapport à ce qui s'est passé. Par contre, les journalistes ont été informés avant nous : un journaliste est venu chez nous avant la police pour nous dire que mon frère était mort. Jusqu’à ce jour personne, pas même un simple inspecteur de la police, n’est venu nous expliquer concrètement ce qui s'est passé. Les seules explications qu'on a eues, c'est via les médias. Comment croire que c'est un accident quand on agit comme ça ? On ne se sent pas traité comme des humains. On se sent discriminé. Je me dis que si mon frère n'avait pas les origines qu'il avait, ne s'était pas appelé Mehdi, il n’aurait probablement pas été contrôlé sans raisons légitimes. Il aurait eu droit aux premiers soins et pas à une fouille dans son sac comme ça s’est passé. La famille aurait été traitée correctement. On a donc droit à des excuses et des explications. On a le droit à être encadrés correctement. Le service d'aide aux victimes de la police, c'est juste une brochure qu'on vous envoie où il est écrit : « Si vous êtes mal, appelez ce numéro. » On se sent abandonnés et cela ne nous permet pas d’entamer le deuil pour mon frère.

Pendant le confinement, un autre jeune, Adil, a trouvé la mort en fuyant un contrôle de police en scooter. Pourquoi fuir un contrôle de police ? 

Se faire contrôler devant tous ses voisins par la police, alors qu’on n’a rien fait, c'est humiliant.

Ayoub Bouda. Déjà, il faut savoir pourquoi on est contrôlés. Un exemple : je me suis fait contrôler devant chez moi pendant le confinement, alors que je suis à 1,50 mètre d'écart de mon ami, et qu'il y a des dames âgées qui discutent plus loin, qui elles ne sont pas contrôlées. Se faire contrôler devant tous ses voisins par la police, alors qu’on n’a rien fait, c'est humiliant. A Bruxelles, on se fait contrôler parce qu'on a des origines étrangères. On nous dit que ce sont des contrôles de dissuasion. Mais dissuader de quoi ? Je ne sais pas. Maintenant que je suis plus âgé (25 ans) et souvent en voiture, je me fais moins contrôler. Mais des gamins de 15, 16, 17 ans se font contrôler tout le temps. Parfois plus d’une fois par jour par les mêmes policiers. Et souvent , avec des intimidations et des insultes : « ta gueule, mets-toi sur le côté », « bougnoule », fouilles en public… Il y a vraiment des policiers qui cherchent à provoquer. Et si un jeune a le malheur de répondre à cette provocation, ou essaye de filmer, des coups et une arrestation risquent de suivre. C'est toujours la même chose. On sait déjà ce qui sera noté au PV : « rébellion ». Il s'est rebellé, donc il a pris des coups. Et tout ça, on est d'accord, ça ne mène à rien. Ce n’est pas de la prévention mais du harcèlement. Tout ça fait que les jeunes qui n’ont rien à se reprocher en viennent à fuir des contrôles de police. Parce que, si je sais que quand un policier arrive, tout ce que je vais récolter, c'est perdre une heure de mon temps, me faire insulter ou me faire taper, ça ne m'intéresse pas. Sans parler de ce qui se passe quand tu es amené au commissariat. On voit des jeunes humiliés parce qu’ils doivent subir des fouilles à nu, ou des jeunes tabassés en cellule. 

Tous les policiers ne sont pourtant pas à mettre dans le même panier ? 

Ayoub Bouda. Il y a des policiers qui font bien leur boulot et qui sont écœurés par tout ça. Dans le parcours pour obtenir justice pour mon frère, des policiers sont venus nous parler mais c'était des gens que je connaissais personnellement. C'est triste qu'ils viennent s'excuser à la place des premiers concernés qui ne viennent pas. Trop souvent, les policiers qui veulent faire correctement leur boulot sont indifférents ou n’osent pas intervenir quand ils voient un de leurs collègues insulter ou frapper un jeune. Ne pas réagir face à cela est une façon de cautionner cette violence. Quand vous voyez un de vos collègues qui tape un jeune alors qu'il est arrêté et menotté, qu'il n'y a plus de risque, il faut lui dire d'arrêter. C’est ce qui fait qu'il y a un sentiment de haine envers tout le corps de police alors que, malheureusement, ce ne sont que certains policiers qui agissent comme ça.
Selon le Comité P (l’organisme chargé de contrôler la police, NdlR), il y a 20 policiers impliqués dans 500 faits de violences. Donc, généralement, on retrouve les mêmes policiers.

Pourquoi les mobilisations après la mort de George Floyd aux États-Unis sont importantes pour vous ?

Ayoub Bouda. Ça fait dix mois que mon frère est mort mais c'est seulement aujourd'hui qu'on parle vraiment de son histoire. Je n'arrête pas de faire des interviews. Cette vidéo où on voit George Floyd mourir, c'est une exécution. Ça a permis aux gens de visualiser, de se rendre compte de la violence des choses. Il faut une justice. On se bat pour quelque chose qui devrait être logique. Cela ne me ramènera pas mon frère. C'est juste pour honorer son nom, dans une démarche de justice et pour que cela ne se reproduise plus. Si les gens voient qu'il y a une certaine justice au niveau de la police, alors ils auront de nouveau confiance et la situation s'améliorera. Mais tant que les auteurs de violences policières ne sont pas condamnés, il n'y aura pas de confiance et donc pas de solution.

Beaucoup de gens pensent que le cas de votre frère est « moins évident » que celui de George Floyd… 

Ayoub Bouda. Plusieurs décès au niveau des violences policières en Belgique sont liés à un accident avec une voiture de police. Comme dans le cas de mon frère, rouler à 100 km/heure sans sirènes mène à ce que la voiture devient une arme. Il faut que cela s’arrête et il faut donc des règles plus claires quand il y a usage de la force et des courses-poursuites par la police. Cela n’existe pas. Et donc il y a des accidents et des abus avec des morts à déplorer. C'est un aspect sur lequel on travaille avec nos avocats : notre but, c'est d'obtenir la justice pour mon frère mais aussi obtenir un changement plus profond pour que cela ne se reproduise plus.