Les sales guerres de Colin Powell

Mondialement connu pour avoir menti à l’ONU et prétendu que l’Irak possédait des armes de destruction massive, l’ex-général et Secrétaire d’État américain est mort en octobre. Son mensonge a justifié l’intervention militaire américaine. Mais c’est loin d’être son seul fait d’armes. Retour sur un parcours sanglant.

I ssu des quartiers pauvres de New-York, premier noir américain à devenir Secrétaire d’État (équivalent d’un ministre des Affaires étrangères) sous Georges W Bush, soutien d’Obama et de Joe Biden, Colin Powell est souvent vu par une partie de l’establishment comme un modèle d’ascension sociale. Mais pour les peuples du Tiers monde et ceux qui essaient de se libérer de l’impérialisme américain, celui qui est mort du Covid-19 le 18 octobre dernier avait sans doute une toute autre image…

Le massacre de My Lai

Colin Luther Powell nait le 5 avril 1937 à Harlem et grandit dans un autre quartier pauvre de New-York, le Bronx. Après ses études, il s’engage dans l’armée. En 1962, il fait partie des 16 000 « conseillers militaires » (des soldats en réalité) envoyés par le président JF Kennedy au Vietnam. Il fait partie des premiers à être envoyés sur place, il a ainsi commencé la guerre du Vietnam avant l’officialisation de celle-ci. À la tête d’une unité de l’armée Sud-vietnamienne (soutenue par les occidentaux contre le Nord, soutenu par l’URSS), afin de couper la route à ses ennemis, il ordonne de mettre le feu à des villages. Il sera décoré à son retour.

En 1968, il est de nouveau envoyé au Vietnam. Là-bas, il intercepte une lettre d’un soldat retourné au pays qui voulait alerter l’État-major US de crimes de guerre causés par des militaires américains. Parmi ces crimes, celui de My Lai, village où 500 civils vietnamiens sont massacrés. Quelques semaines après, Colin Powell est chargé de mener une enquête sur ce massacre. Il dissimulera au contraire ce crime de guerre. Il conclut même son rapport par : « Les relations entre les soldats de l’Americal Division (une des unités coupables du massacre, NdlR) et le peuple vietnamien sont excellentes. »

Un général US à la retraite aura un regard bien plus sévère en résumant le massacre de My Lai comme « un massacre conscient de bébés, d’enfants, de mères et des mères sans défense et d’hommes âgés dans une sorte de cauchemar diabolique au ralenti qui a duré pendant une bonne journée, avec une pause froide pour le déjeuner ».

Soutien et mise en place de dictatures en Amérique latine

Cet épisode le fait monter en grade. Il tape dans l’œil du ministre de la Défense Caspar Weinberger. Powell devient son assistant militaire au début des années 1980. Il participe ainsi à ce qui deviendra l’« Irangate ». Alors que l’Iran est sous embargo, le gouvernement US lui vend des armes. Le but  ? Utiliser cet argent secret pour financer des groupes armés (dénommés Contras) opposés au pouvoir du Nicaragua.

Il faut dire que le gouvernement socialiste local est hostile à l’ingérence des États-Unis. Une chose à laquelle ceux-ci ne sont pas habitués dans une région qu’ils considèrent comme leur jardin… L’« Irangate » est révélé dans la presse et le ministre Weinberger démissionne. Inculpé, il recevra le pardon présidentiel de Georges Bush père en 1992. Soit avant son jugement… De son côté, Colin Powell, s’il a participé à l’élaboration de la magouille, échappe aux poursuites. Il monte même en grade.

En 1987, il devient « conseiller à la sécurité nationale » du président Ronald Reagan. Il peut de la sorte continuer à tenter de déstabiliser le gouvernement socialiste du Nicaragua et participer aux « guerres sales » menées par son pays pour faire tomber tout ce qui ressemble de près ou de loin à un progressiste au pouvoir en Amérique latine. Un domaine où il a déjà une certaine expérience. 

Outre le Nicaragua, il s’est impliqué dans l’aide aux dictatures militaires au Guatemala (où le pouvoir massacre 200 000 civils indigènes…) et au Salvador, entre autres. Il se rend dans ce petit pays en 1983 avec Weinberger. Objectif  ? «  Confirmer que l’armée et le gouvernement salvadoriens faisaient ce qu’il fallait sous Duarte », explique le journaliste américano-salvadorien Roberto Lovato, au média de gauche américain Democracy Now  ! Duarte dirige alors une dictature militaire qui se bat contre la guérilla marxiste (FMLN). Avec l’aide des États-Unis, le régime est responsable de la mort de 100 000 personnes. 

La doctrine Powell, ou comment justifier une guerre... 

En 1989, Colin Powell devient à 52 ans président des chefs d’état-major interarmées, poste militaire le plus élevé. Il a à peine le temps de décorer son bureau que les ÉtatsUnis envahissent le Panama pour faire tomber le pouvoir local. Une invasion qui fera 3 500 victimes civiles. 

Quand la guerre du Golfe – opposant l’Irak à 35 pays dont les États-Unis, et qui fera 45 000 victimes civiles – secoue le Koweit, en 1990, il dirige l’armée américaine, et donc la coalition sur place (dont fait partie la Belgique). C’est à ce moment que sa doctrine, connue maintenant sous le nom de « Doctrine Powell », est mise en pratique. En bref, cette doctrine préconise d’utiliser tous les moyens diplomatiques et économiques pour éviter une guerre militaire. Mais une fois que celle-ci est « inévitable », il faut qu’elle soit massive et rapide.

Pas question de laisser une résistance se développer. Surtout, il faut obtenir le soutien de l’opinion publique par n’importe quel moyen, en présentant les interventions comme soutenues par les forces alliées. Et en mentant.En bref, la guerre doit être courte, la victoire éclatante et l’opinion publique satisfaite  : ce sont des leçons que Powell (ainsi que beaucoup d’autres va-t-en-guerre américains) a retenues de la guerre du Vietnam. Et s’il faut mentir pour manipuler l’opinion, ce n’est pas un problème...

Pas un simple messager

C’est ainsi qu’il faut comprendre son célèbre speech devant l’ONU le 5 février 2003. Il y présente une fiole contenant prétendument la preuve de l’existence d’armes de destruction massive que détiendrait le régime de Saddam Hussein et expose des enregistrements audios présumés de responsables irakiens discutant de l’évacuation de matériel compromettant. Colin Powell ment, et il le sait.

Il tentera de s’en défendre par après en se présentant comme une victime : « Je suis allé au siège de la CIA, et grâce aux informations fournies par son patron, George Tenet, j’ai pu bâtir le discours. Remarquez que j’y ai mis moins d’éléments controversés que le président, Condoleeza Rice (conseillère à la sécurité à l’époque, NdlR) ou Rumsfeld (ministre de la Défense, NdlR) avaient déjà utilisés publiquement et à plusieurs reprises. (...) Le président m’a choisi parce que j’étais le plus crédible vis-à-vis de la communauté internationale, mais, encore une fois, je ne faisais que transmettre ce que les seize agences de renseignement disaient » (Colin Powell : comment la CIA m’a trompé, Nouvel Obs, 1 mars 2013). 

L'art de la guerre (et du business)

Pourtant, au moment où il présente les faits, les États-unis avaient déjà reçu confirmation des services de renseignement que ces informations étaient fausses. Powell sait pertinemment qu’il ment. Il le fait dans le but d’entrer en guerre contre l’Irak même si cette guerre n’avait aucune «  légitimité  » par rapport au droit international. Ainsi, pour justifier une guerre préventive dont ni les Nations unies ni l’opinion publique mondiale (américaine comprise) ne voulaient, une véritable machine de mensonge et d’intoxication pilotée depuis l’administration Bush a répandu des mensonges d’État.

Et c’est justement parce que Powell est vu comme un «  modéré  », que son speech a autant d’impact sur l’opinion publique. La «  tache  » sur sa carrière n’a pas eu une grande influence sur la réputation de Powell aux États-Unis. Du moins du côté des détenteurs du capital. Après le désastre irakien, il se trace un chemin lucratif dans le monde des affaires. Il siège au conseil d’administration de Salesforce (société qui pèse plus de 20 milliards de chiffre d’affaires) et devient «  conseiller stratégique  » de la société de capital-risque Kleiner Perkins.

Au moment de sa mort, sa fortune est estimée à plus de 50 millions d’euros. Car il a toujours su combiner guerre et affaires. La société Bloom Energy, où il siégeait, était détenue en partie par le Kuwait Investment Auhority. Soit un fonds souverain koweïtien gérant les excédents budgétaires de l’État, liés principalement aux exportations d’hydrocarbures… La guerre est un business, Powell maîtrisait les deux.

Loin d'être un modéré

Beaucoup de médias ont présenté Colin Powell comme un homme sage (comparé à George W Bush), rassemblant Républicains et Démocrates. Il a même soutenu Obama et Joe Biden. Mais s’il arrive à faire consensus entre la direction des deux partis, c’est parce qu’il a d’abord et avant tout servi les intérêts de la classe dominante, à n’importe quel prix. Il a trop de sang sur les mains pour le faire passer pour un « modéré ». Et s’il a soutenu Obama et Joe Biden, cela en dit probablement plus sur eux que sur Powell lui-même.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut se réjouir de sa mort. Car comme le dit Mountazer al-Zaïdi, journaliste irakien célèbre pour avoir lancé ses chaussures au visage de George W Bush lors d’une conférence de presse : « La seule chose triste dans la mort de Colin Powell est qu’il ne sera jamais puni pour ses crimes. »