Troisième journée de grève dans les magasins Wibra : la chaîne s’apprête à licencier son personnel aux frais du contribuable

« On a donné les meilleures années de notre vie à Wibra et maintenant on nous traite comme des chiens. » Le personnel de la chaîne de magasins Wibra est en colère. La direction provoque la faillite de certaines de ses enseignes pour ne conserver que les plus rentables.

Le personnel de Wibra débraye pour la deuxième fois en un mois. Lors d'un conseil d'entreprise spécial, le personnel présent a spontanément décidé de fermer les magasins. La chaîne néerlandaise prétend que ses magasins en Belgique ne rapportent plus assez. Wibra entend ainsi mettre en vente ses 81 succursales belges, puis en racheter elle-même une trentaine. Les autres magasins sont menacés de faillite. « Nous avons donné les meilleures années de notre vie à Wibra et maintenant, on nous traite comme des chiens », ont réagi les membres du personnel des magasins.

Le coronavirus, un prétexte de rêve pour la restructuration

La direction de Wibra affirme que ses magasins belges sont en perte depuis des années et que la pandémie de coronavirus leur a donné le coup de grâce au printemps dernier. Pour le journal économique De Tijd, cette explication ne tient pas la route : « Wibra Belgique est rentable. Si l’on en croit les dernières données de 2018, sur un chiffre d'affaires de 57,7 millions d'euros, elle a réalisé 750 000 euros de bénéfices d'exploitation et 170 000 euros de bénéfices nets ». Selon un porte-parole de Wibra, cela s'explique par le fait que la société belge bénéficie d'une réduction lorsqu'elle achète des vêtements et des services à sa maison-mère néerlandaise. Mais en même temps, la société admet que cette même maison-mère réalise encore de juteux bénéfices.

Une déléguée syndicale présente sur le piquet de grève se montre sceptique quant aux arguments de la direction : « Pas plus tard qu’en janvier, le nouveau PDG affirmait que l'entreprise était financièrement saine. On dirait bien que la crise du coronavirus sert de prétexte pour justifier une restructuration. »

Le personnel en grève est également de cet avis : « Pour la direction, la pandémie a été une aubaine. Elle en a immédiatement profité pour se restructurer en organisant la faillite de ses enseignes. Mais, avant cela, elle ne s’est pas gênée pour accepter les aides publiques du gouvernement. »

Le bruit court aussi parmi les membres du personnel que l'entreprise a « bricolé» sa propre faillite en perturbant le fonctionnement normal des magasins. Ainsi, les employés de différentes succursales affirment que le produit Dasty, très populaire, a été retenu dans les centres de distribution pendant des semaines et n'a plus été fourni aux magasins. Or, de nombreux clients viennent chez Wibra précisément pour se procurer ce dégraissant, puis en profitent pour acheter aussi d’autres produits une fois qu’ils sont dans le magasin. Une partie non négligeable du chiffre d'affaires dépend donc de ce seul produit. Selon le site de loisirs TipsEnWeetjes.nl, Dasty est le « produit magique de Wibra », il « se vend comme des petits pains ».

Une employée d'un Wibra de Bruxelles nous raconte que le lendemain du confinement, son magasin enregistrait un chiffre d'affaires de 14 000 euros, dont au moins 10 000 provenant des seules ventes de Dasty. Retenir délibérément un produit aussi populaire est donc ni plus ni moins qu’un suicide commercial.

Les membres du personnel des magasins de Verviers se sont également joints au mouvement de grève.

Le plan de Wibra : répercuter les coûts des licenciements collectifs sur la collectivité

Le plan de Wibra est de mettre en vente ses propres magasins, puis d'en racheter une partie par l'intermédiaire d'une autre société. La direction refuse d'annoncer lesquelles des trente enseignes elle compte racheter, mais il s'agit bien sûr des magasins les plus rentables. Les candidats-repreneurs des cinquante autres magasins en sont bien conscients aussi, donc il est peu probable qu'ils mordent à l'hameçon. Si les autres magasins font faillite, des centaines de travailleuses et travailleurs perdront leur emploi... Sans que Wibra n'ait à leur verser un euro d'indemnités de licenciement ! Le personnel licencié n'aura droit qu'à une prime misérable du Fonds de fermeture des entreprises (FFE), un fonds public de l’ONEM, financé notamment par nos impôts. De cette manière, Wibra répercute les coûts de sa propre restructuration sur la collectivité. C’est donc non seulement le personnel de Wibra, mais aussi l’ensemble de la classe ouvrière belge qui fera les frais de la soif de profits de cette chaîne de magasins.

La direction de Wibra provoque elle-même la faillite de certains de ses magasins, afin de n’en conserver que les branches les plus rentables. Elle invoque pour cela la « loi relative à la continuité des entreprises » qui permet de transférer, sous autorité de justice, tout ou partie de l'entreprise ou de ses activités à un tiers. Elle est connue en langage juridique sous le nom de « LCE 3 ». Dans ce cadre, un repreneur peut acquérir les magasins et les membres du personnel les plus rentables, tandis que, pour les autres malchanceux, il ne reste que des succursales dépouillées et en faillite. Cette procédure s’apparente à une restructuration en dehors des mesures de protection prévues par la loi Renault. Celle-ci prévoit en effet une phase d'information et de consultation approfondie avec les syndicats, et une forte participation du personnel dans le processus. La LCE 3 ne prévoit rien de tel.

Pour les « filles de Wibra » (comme elles se surnomment elles-mêmes), les conséquences de ce contournement de la loi Renault vont plus loin que le simple fait de passer à côté de l'indemnité légale de licenciement. Cela fait trois mois maintenant que le personnel vit dans l’incertitude la plus complète. La direction ne communique sur rien. Trois membres du personnel qui travaillent dans le magasin de Saint-Nicolas depuis son ouverture, il y a 39 ans, ont soudain découvert que leur magasin était à vendre. D'autres ont entendu des rumeurs émanant de la direction ou soupçonnent que la rétention de produits comme Dasty signifie que leur magasin est condamné. Une employée explique être en congé jusqu'au 6 octobre, mais ne sait pas si elle pourra revenir à ce moment-là. Un licenciement est toujours source d’énormément de stress et d'émotions, mais ce climat d’incertitude plonge certaines personnes dans le désespoir.

Le PTB souhaite une modification rapide de la loi et une intervention directe du ministre

Un jugement européen du 16 mai 2019 a statué que la « LCE 3 » invoquée par Wibra est contraire à la directive européenne 2001/23. Cette directive protège les travailleurs contre le licenciement résultant uniquement du transfert d'une entreprise. Fondamentalement, ce qui se passe chez Wibra est donc illégal. Mais, après et malgré ce jugement, la LCE 3 est restée d’application. Juridiquement parlant, ce n'est pas Wibra elle-même qui est en faute, mais bien le législateur belge, ce qui en fait une question d'intérêt national.

En outre, depuis ce jugement, ce n'est pas la première fois qu'une entreprise belge invoque la procédure LCE 3. La fermeture de l'entreprise de meubles Recor à Hasselt, en août dernier, en est un exemple. La direction de Recor avait délocalisé toutes ses activités rentables vers d'autres sociétés, pour ensuite mettre en faillite la partie déficitaire de l'entreprise. 187 personnes ont perdu leur emploi, au détriment du Fonds de fermeture des entreprises. En d’autres termes, à nos frais.

En ne touchant pas à cette loi et en laissant Wibra faire, il y a un risque que d'autres entreprises suivent le mouvement et utilisent également le « prétexte du coronavirus » pour organiser leur restructuration aux frais du contribuable. Le PTB demande donc une modification de la loi « LCE 3 » dans les plus brefs délais et a appelé la ministre du Travail sortante à informer toutes les entreprises implantées sur le territoire belge du jugement européen évoqué ci-dessus. Le PTB est par ailleurs déterminé à renforcer l'opposition de gauche face au nouveau gouvernement afin de s'assurer que les héros de la crise du coronavirus, et notamment le personnel des magasins, ne soient pas oubliés.

Le personnel reste combatif : « Nous ne lâcherons rien jusqu'à ce que nous obtenions ce à quoi nous avons droit. »

Le personnel en grève ne comprend pas comment Wibra peut se laisser aller à de telles manigances. Beaucoup travaillent pour la société depuis plus de trente ans. « Nous avons donné nos meilleures années à Wibra. Nous avons été plus souvent au magasin qu'à la maison. Nous avons toujours travaillé avec cœur. On est venues travailler malades, le dos cassé, on est revenues de congés plus tôt lorsque c’était nécessaire... On a toujours été là, pour nos collègues, pour nos clients et pour l'entreprise. Et maintenant, on nous jette à la rue, purement et simplement, et Wibra ne daigne même pas nous verser d'indemnités de licenciement. Un membre de la direction nous a dit : ‘Vous serez payées pour le travail que vous avez fait, et si cela ne vous convient pas, la porte est là.’ Nous nous sentons humiliées. On nous traite comme des chiens. »

Pour le personnel, le fait que Wibra envisage de racheter certains de ses propres magasins est la preuve qu'il y a encore de l'argent dans l'entreprise. En outre, ces dernières années, Wibra a versé chaque année un million d'euros à ses actionnaires, même lorsque les chiffres étaient soi-disant médiocres. Cela motive les travailleuses et travailleurs à poursuivre leur combat contre les plans actuels de la direction. « S'ils ferment vraiment les magasins, on ne peut pas faire grand-chose. Mais ils devraient au moins nous verser nos indemnités de licenciement. Ici, la majorité du personnel a plus de cinquante ans, il nous sera très difficile de trouver un nouvel emploi. C'est pourquoi nous allons continuer la lutte jusqu'à ce que nous obtenions ce à quoi nous avons droit. »