Zohra Othman : « Lorsqu’on s’appuie sur les gens, les solutions émergent vite »
Cela fait déjà trois ans que Zohra Othman (PTB) est échevine de la Jeunesse dans le district anversois de Borgerhout, dirigé par une coalition progressiste inédite. Nous avons rencontré cette architecte de la nouvelle politique locale de la jeunesse.
Le 6 décembre 2012, au lendemain des élections communales, à Borgerhout, les représentants du sp.a, de Groen et du PTB sont rassemblés derrière une table. Ils ont invité la presse pour un moment en quelque sorte historique. Alors que, dans les autres districts anversois et à la Ville elle-même, c’est la N-VA qui tient le sceptre, à Borgerhout, ce sont trois partis progressistes et un indépendant qui ont formé une majorité pour diriger le district. Zohra Othman est devenue échevine pour le PTB qui, pour la première fois de son histoire, est entré dans une majorité.
Trois ans plus tard, nous sommes dans le cabinet de l’échevine de la Jeunesse Zohra Othman. Elle nous explique le vent nouveau qu’elle-même et l’équipe progressiste au pouvoir ont fait souffler sur Borgerhout, et la touche spéciale apportée par le PTB dans la gestion du district. « Le lieu des décisions a toujours été une chose très éloignée des gens. Or ce sont justement les gens eux-mêmes qui peuvent signaler les problèmes et sont le mieux placés pour trouver des solutions. En tant que majorité à la tête du district, nous nous appuyons sur les gens, parce que nous pensons qu’il y a là beaucoup de sagesse collective. Et, quand on s’appuie sur les gens, les solutions émergent souvent vite. »
Vous êtes la toute première échevine du PTB. Comment avez-vous abordé cette tâche ?
Zohra Othman. C’était vraiment un travail de pionnier. Tant pour moi que pour le parti. Je suis avant tout partie de la réalité des jeunes à Borgerhout. Combien de jeunes vivent ici ? Dans quelles circonstances ? De quelles possibilités de loisirs disposent-ils ? Quelles sont les associations de jeunesse qui existent et sur lesquelles je peux tabler ? Ensuite, j’ai examiné la politique menée les années précédentes, et j’ai tout de suite vu où il y avait du travail.
C’est-à-dire ?
Zohra Othman. Lors de ma première concertation de gestion avec les conseillers du service de la jeunesse, il est apparu qu’en 2012, sur toute une année, leur offre de loisirs n’avait touché que 500 enfants. Pour un district avec un pourcentage très élevé d’enfants et de jeunes, c’est très peu.
En fait, la Ville d’Anvers a un système – l’offre « carte A » – où tous les services de la jeunesse des districts peuvent s’inscrire pour organiser des activités (payantes et sur inscription, NdlR) durant les vacances. Mais, quand on ne touche que 500 enfants en un an, il est clair que ce système ne fonctionne pas. Lorsque, lors d’une réunion, l’échevine N-VA de la Ville en charge de la Jeunesse a une fois de plus annoncé que le système serait payant, nous avons décidé de ne plus y participer. Dorénavant, à Borgerhout, nous organisons des jeux pour les enfants du district, gratuites et sans inscription préalable.
Qu’est-ce que cela a donné ?
Zohra Othman. Cette année, rien qu’entre le 1er janvier et le 31 août, nous avions déjà touché 4 137 enfants. Aucun autre district ne peut présenter de tels chiffres. Le district d’Anvers, avec 190 000 habitants, a touché 250 enfants… Le district de Berchem, comparable à Borgerhout en nombre d’habitants, est à 678 enfants. Parmi les autres districts, c’est Deurne qui a le meilleur résultat avec 1 215 enfants.
Comment procédez-vous ?
Zohra Othman. Pendant les vacances et les mercredis après-midi, le service de la jeunesse se rend sur une place – chaque fois une différente – et y organise des jeux pour les enfants. On roule avec un vélo à remorque et un klaxon dans les rues de Borgerhout pour annoncer : « Tout à l’heure, nous serons sur telle place ! ». À la longue, les enfants venaient nous demander : « Et demain, vous serez où ? » Nous allons encore élargir ce concept pour proposer des jeux sur deux places différentes le même jour.
Et nous ne touchons pas que les enfants jusqu’à 12 ans. Nous donnons aussi la possibilité aux jeunes de 16 à 22 ans de suivre une formation d’animateur. Pour l’année 2015, nous avons eu une équipe de 38 moniteurs.
Le fait que des jeunes suivent une formation de moniteur est en fait très important. Ce sont parfois des jeunes très timides, mais, au cours de leur formation et quand ils exercent leur travail de moniteur, ils s’épanouissent. Je suis très heureuse de voir ça, mais, en même temps, cela me fâche beaucoup.
Pourquoi ?
Zohra Othman. Il y a tant de jeunes qui ont des talents et des capacités pour faire toutes sortes de choses, mais qui ne trouvent pas leur voie dans la société. C’est une bonne chose qu’à notre petite échelle, nous puissions faire quelque chose pour eux, mais cela met encore plus en évidence la nécessité de prévoir pour ces jeunes de telles formations et des occupations pour les temps libres, afin qu’ils puissent s’épanouir en tant qu’individus et développer leurs talents.
Mais cela coûte de l’argent.
Zohra Othman. Les moyens sont au niveau de la Ville, mais ils ne sont pas utilisés à bon escient. La Ville octroie beaucoup au service de la jeunesse, mais le rendement est déplorable. Il leur faut beaucoup de personnel et de moyens informatiques pour gérer l’administration des inscriptions à ces activités payantes, mais cela n’apporte rien. Au contraire, la Ville touche de moins en moins d’enfants. C’est de la bureaucratie pure. Au conseil communal d’Anvers, le groupe PTB va interpeller l’échevine de la Jeunesse à ce sujet. C’est à elle de changer de cap avec son équipe.
À Borgerhout, les enfants peuvent participer aux jeux sur les places sans inscription. N’y a-t-il pas des problèmes avec des enfants difficiles sur lesquels vous n’avez pas de contrôle?
Zohra Othman. Ça arrive bien sûr qu’il y ait des enfants qui cherchent les disputes, mais il y a tellement d’autres enfants qui sont si contents et reconnaissants que ça existe qu’ils ne se laissent pas entraîner. C’est une forme de contrôle social. Il savent qu’avant, ils étaient chassés de ces places où, maintenant, ils peuvent jouer.
Ici-même, dans la maison de district, nous organisons aussi beaucoup d’activités pour enfants. Du coup, la maison de district bouillonne de vie, les enfants la connaissent et ont vraiment le sentiment qu’elle est à eux. Vous savez, j’ai entendu des enfants raconter qu’avant, ils n’osaient pas entrer ici parce qu’ils pensaient que c’était une église ! (Rires) De manière générale, les bâtiments publics sont bien trop peu ouverts pour les activités du quartier et des habitants.
Au bout de ces trois ans, les parents viennent régulièrement me voir pour me dire à quel point ils apprécient. Il y a toujours des places où les riverains n’aiment pas qu’on joue. Mais le district est très densément peuplé. En gros, il y a par habitant un seul mètre carré d’espace ouvert. Nous n’allons donc pas laisser se perdre des espaces publics parce que certains habitants préfèrent ne pas avoir d’enfants qui jouent devant leur porte. Nous habitons dans un district où vivent des familles dont les enfants ont le droit de pouvoir jouer dehors.
Pas évident de faire jouer des enfants quand il y a si peu d’espace.
Zohra Othman. Nous voulons que chaque morceau d’espace public soit utilisé de manière optimale. C’est aussi une lutte difficile avec les autorités de la Ville, parce que celles-ci privilégient la voiture alors que nous optons pour les transports en commun, le vélo et la marche à pied.
Nous voulons aménager les rues de manière à ce que les enfants aient toujours une « incitation au jeu ». Vous savez ce que c’est : les enfants marchent dans la rue, ils voient un muret et hop, ils sautent dessus. Ils voient un arbre et hop, ils grimpent. Pour les enfants, tout peut être une occasion de jeu. Et on peut organiser l’espace public en conséquence. Ça peut être très simple, par exemple en intégrant un jeu de marelle dans les dalles du trottoir.
Comment ont réagi les services administratifs de Borgerhout à cette nouvelle orientation ?
Zohra Othman. Je leur suis très reconnaissante d’avoir si vite adhéré à notre projet. Ils sont bien sûr les premiers à constater la reconnaissance des enfants qui viennent jouer. Ils ont désormais un bien meilleur contact avec les habitants. C’est plus de boulot, c’est plus intense, mais ils sont aussi plus heureux dans leur travail.
Avant, ils devaient en gros se contenter d’organiser les aspects pratiques de l’activité. Pour eux, ça a été un grand changement, mais le personnel du service de la jeunesse a fait cela de manière fantastique.
Il y a quelques mois, vous avez mis sur pied le projet des « PleinPatrons », c’est-à-dire des «animateurs de place ». Pouvez-vous expliquer?
Zohra Othman. Lorsque des enfants jouent sur une place, cela peut susciter des conflits avec les habitants du quartier ou avec les organisateurs des événements. À un moment, nous avons dit stop.
Nous voulions que les jeunes puissent continuer à jouer sur les places. Nous avons alors rencontré les associations de jeunes JES, Kras er Samen Op Straat et nous leur avons proposé des bénévoles pour suivre une formation d’« animateur dans l’espace public », pour encadrer les jeunes qui jouent sur une place si le besoin s’en fait sentir. L’avantage des « PleinPatrons », c’est que nous avons proposé cela à des jeunes qui sont connaissent « leur » place, qui ont grandi sur celle-ci. Ils connaissent les enfants qui y viennent et leurs parents, et ils savent comment faire avec eux.
C’est tout l’inverse d’une politique qui envoie la police lors de conflits et qui installe des caméras pour contrôler tout le monde. Notre projet part de la force d’un quartier.
Vous avez aussi organisé des jeux pour les petits de moins de six ans…
Zohra Othman. On peut encore trouver des activités pour les enfants de plus de 6 ans, mais, pour les petits de 2,5 ans à 5 ans, c’est très difficile. Le mercredi après-midi, nous organisons maintenant des ateliers créatifs pour les petits. C’était une demande des parents, mais aussi des écoles. Les compétences acquises par les enfants lorsqu’ils arrivent à l’école sont très différentes. La musique, danser, aller à la bibliothèque... beaucoup d’enfants ne connaissent pas cela. Et donc, le retard qu’ils ont déjà devient de plus en plus important.
Chaque projet positif que nous faisons nous confronte en même temps à la réalité, et, avec nos moyens, nous ne pouvons offrir que des solutions limitées. La politique en place doit aller dans une autre direction. Et cela ne coûterait pas vraiment plus que ce qui est actuellement dépensé.
Et que faites-vous pour les enfants un peu plus âgés?
Zohra Othman. Pour les enfants à partir de 12 ans, nous n’avons pas d’actions spécifiques. Ce que nous faisons pour eux, c’est collaborer le plus possible avec les associations de jeunes existantes. Nous avons la chance d’il y ait à Borgerhout d’excellentes associations de jeunes, comme le JES, le Kras, Samen Op Straat, des mouvements de scouts… Nous les soutenons à fond, tant en matériel que financièrement.
Et nos fameux abris sont enfin installés. Ce sont des petits toits sous lesquels les jeunes peuvent s’asseoir quand il pleut. Dès le début de la législature, des jeunes nous ont dit : « On aimerait pouvoir rester sur la place quand il pleut. On ne veut pas se mettre sous un porche ou devant les entrées des maisons parce qu’alors les habitants se plaignent et sont remontés contre nous, et nous-mêmes on n’aime pas ça. » Après trois ans, ces abris sont finalement là.
Nous recevons vraiment de bonnes réactions des jeunes. Lors d’une journée de rencontre avec les responsables politiques, un jeune m’a dit : « Depuis deux, trois ans, on sent un grand changement à Borgerhout. On sent qu’on est respectés et qu’on peut dialoguer avec les autorités du district. » Cela fait plaisir.
Ces trois dernières années, vous avez été échevine de la Jeunesse, mais vos attributions vont changer, non?
Zohra Othman. C’était ce qui avait été convenu lors de l’accord de majorité il y a trois ans. Un collègue part à la pension et quelqu’un de Groen le remplace et reprend les compétences de la Jeunesse.
Vous êtes triste de quitter le domaine de la Jeunesse ?
Zohra Othman. J’ai un double sentiment à cet égard. J’ai élaboré des projets et budgets pour qu’en 2016, on touche encore plus d’enfants. Je pense que les fondements pour 2016 sont posés et que mon collègue pourra continuer à construire sur ceux-ci.
Mais il y a encore tant de défis dans le district, par exemple sur le plan du vivre ensemble et de la diversité, une de mes nouvelles attributions. Cela fait déjà un moment que j’ai des idées en tête, mais pour lesquelles je n’ai jusqu’à présent pas encore pu trouver le temps. Tant mieux si je peux désormais m’y consacrer. Les trois années que j’ai passées à l’échevinat de la Jeunesse ont donné de beaux résultats. Au cours des trois années à venir, j’aimerais pouvoir faire de même dans d’autres domaines.
Vous avez désormais aussi les compétences de l’Économie locale et de l’Emploi, ainsi que les Marchés et foires.
Zohra Othman. Ces deux compétences sont importantes pour le tissu social. Sur les marchés, on constate que la mixité est en fait insuffisante. Il y a aussi une demande des habitants d’avoir plus de produits locaux. Je voudrais donc qu’il y ait par exemple un agriculteur de Campine qui vienne vendre ses légumes. Ça aussi, c’est Borgerhout.
Pour l’Économie locale et l’Emploi, un quartier sans magasins ou petits indépendants est un quartier mort, n’est-ce pas ? Là aussi, on peut soutenir les commerçants locaux pour qu’ils puissent davantage se professionnaliser. Et, au plan de l’emploi, nous devons développer de meilleurs réseaux avec les entreprises pour que les jeunes d’ici puissent effectuer un stage dans celles qui n’engageraient pas spontanément quelqu’un de Borgerhout.
La compétence du Budget sera ensuite ajoutée à vos autres attributions.
Zohra Othman. Je peux gérer l’argent, mais je ne peux pas instaurer de taxe des millionnaires ! (Rire). Pour le reste, nous n’avons pas de revenus propres, nous dépendons des dotations de la Ville. C’est aussi un point de travail : les autorités de la Ville avaient promis plus de moyens pour les districts, mais c’est en fait le contraire qui se passe. Ma tâche sera donc de continuer à insister auprès de la Ville pour plus de moyens.
Et comment se déroule la collaboration avec Groen et le sp.a?
Zohra Othman. Lorsque le PTB a été invité aux discussions pour une coalition, nous avons dès le début pris le temps pour déterminer ce que nous voulions réaliser si nous entrions dans la majorité. Nos partenaires de coalition ont marqué leur accord sur les accents sociaux que nous voulions apporter. Nous avons pris le temps pour cela. Et ce n’est que tout à la fin que nous nous sommes réparti les compétences. Dans d’autres districts, certains partis se sont seulement assis à la table des négociations s’ils avaient la garantie d’obtenir tel ou tel poste. Mais moi, je ne peux pas travailler comme ça.
Par cette discussion sur l’accord de majorité, nous avons pu clairement déterminer l’orientation de notre politique. Ensuite, avec toute l’équipe, nous nous sommes mis au travail. Si, en tant qu’échevine, j’ai un projet, je le soumets d’abord au reste du collège de district, et les autres échevins font de même. Personne ne joue cavalier seul. Je suis également informée des projets dans les autres domaines. Ça, c’est unique. Et nous discutons dans une atmosphère ouverte jusqu’à ce nous arrivions à un accord commun.
Dans d’autres districts, la N-VA est dans la majorité. Certains partis de ces majorités disent que leur politique a aussi des accents sociaux.
Zohra Othman. Par notre approche à Borgerhout, nous sommes vraiment un agent de liaison entre tous les habitants. Nulle part ailleurs ce n’est comme ça.
Si vous siégez avec la N-VA dans une majorité – qui a en outre tout à dire au niveau de la Ville –, cela veut dire qu’en tant que parti ayant une vision différente, vous n’avez selon moi aucunechance de vraiment réaliser votre projet.
D’ailleurs, comment se comporte la N-VA dans l’opposition à Borgerhout?
Zohra Othman. Au début, ils étaient très fâchés. Ils nous ont attaqués sur les choix que nous avons faits. En soi, ce n’était pas si mauvais, parce que nous avons pu bien expliquer notre politique (Rires). Mais, plus nous avançons dans la législature, plus leur enthousiasme de mener l’opposition diminue. Les chiffres sont les chiffres, et ils ne peuvent en fait rien dire de négatif sur nos résultats.
On entend parfois dire qu’à Borgerhout, l’atmosphère a changé. Avant, Borgerhout était toujours évoquée négativement dans la presse.
Zohra Othman. Une autre atmosphère est la première condition pour que les gens constatent que leurs autorités de district ont une manière différente de travailler. Nous nous investissons pour nos habitants. Dans notre équipe, il n’y a personne qui fait de la politique pour lui-même ou par ambition personnelle.
Mais cela reste très fragile, car les problèmes sont très grands, surtout la pauvreté, l’exclusion ou le logement. Si on n’investit pas là, il y aura un retour de flamme. Nous sentons déjà maintenant les conséquences des trous laissés par l’austérité dans l’associatif et l’enseignement.
Les associations viennent chez nous pour obtenir de l’aide, mais nous ne disposons évidemment pas des moyens dont dispose la Ville. Si on ne fait rien dans le domaine de la jeunesse, pour beaucoup de jeunes, il n’y aura pas d’activités pour les temps libres, pas d’aide pour l’école, pas de réseau pour retomber sur ses pattes. Chaque mesure d’austérité se ressent immédiatement sur le terrain.
Mais les coupes ont également un impact sur les écoles. Celles-ci viennent nous demander d’organiser quelque chose pour les petits le mercredi après-midi, alors qu’elles-mêmes un accueil extrascolaire !
Par ailleurs, énormément d’enfants viennent à l’école sans pique-nique. Le district a décidé de fournir de la soupe un jour par semaine dans les écoles. Un directeur d’école nous a envoyé un mail de remerciement. Si des enfants sont si contents d’avoir un bol de soupe, je ne veux même pas imaginer comment c’est pour eux les autres jours de la semaine.
Aujourd’hui, il y a beaucoup à faire à propos des jeunes qui se radicalisent. Comment, en tant qu’échevine de la Jeunesse, voyez-vous cette question ?
Zohra Othman. Il y a environ 70 jeunes de Borgerhout qui sont partis en Syrie. Selon moi, c’est surtout la manifestation d’un cri lancé par des jeunes qui ne sont pas entendus. Un cri pour pouvoir être quelqu’un. Souvent, ils semblent n’être personne, quand ils ne sont pas traités comme de la racaille.
Cela commence très tôt, dès l’école. Dans la plupart des écoles, les enfants doivent laisser à la porte d’entrée leur identité acquise à la maison. Cela fait déjà de ces enfants des gens qui n’ont pas de confiance en eux. Les enfants devraient justement être fiers de leur propre identité. Mais quand, en tant qu’enfant, on reçoit le message que ce qu’on apprend à la maison n’est pas bienvenu à l’école, comment pouvez-vous devenir une personne équilibrée, indépendante, qui a confiance en soi? L’égalité part justement du fait que tout le monde est différent et que personne ne doit rester à la traîne parce qu’il a une autre situation chez lui.
La plus grande faute qu’ont commise les partis de gauche au pouvoir, c’est d’avoir pris la voie du néolibéralisme. Depuis les années 1990, les sociaux-démocrates sont allés loin dans la voie de l’austérité et de la croyance dans le libre marché, mais aussi dans la démolition du tissu social.
Leur deuxième faute, c’est d’avoir répondu de manière tout à fait insuffisante aux appels à l’aide des organisations de jeunes qui signalaient que des jeunes étaient laissés à des fondamentalistes. Le financement et la reconnaissance des mosquées, la formation des imams… n’ont jamais été pris au sérieux. Au contraire, cela a été entièrement laissé au « marché », en l’occurrence à l’Arabie saoudite, qui finance une forme radicale d’islam sur laquelle il n’y a aucun contrôle. Je trouve cela irresponsable.
En 1998 déjà, le président de la fédération des associations marocaines avait mis en garde contre les salafistes qui avaient une grande influence sur les jeunes. Il avait alors présenté un projet aux pouvoirs communaux, mais ceux-ci ont balayé son plan avec le message : « Ce sont des querelles religieuses, on ne s’occupe pas de ça.»
Votre politique est couronnée de succès, mais vous restez très modeste. C’est intentionnel ?
Zohra Othman. Nous travaillons beaucoup à mettre en œuvre notre politique et, à un certain moment, cela porte ses fruits. Je trouve aussi que nous communiquons trop peu à ce sujet, mais, maintenant, c’est un bon moment pour le faire.
Ce qu’il y a, c’est que tout reste très fragile. Quand je vois ces attentats à Paris, je me demande avec inquiétude : qu’est-ce qui se passerait si c’était quelqu’un de Borgerhout ? Cette bonne atmosphère que nous avons créée ici est si fragile que, parfois, on veut protéger ses réalisations en ne criant pas trop vite victoire...
Les attentes sont aussi très élevées, non ?
Zohra Othman. Il est normal que les gens attendent quelque chose de vous. Un tel mandat, ce n’est pas rien, et les gens – aussi au sein du PTB – étaient impatients. Mais ce qu’on construit en 2013, ce n’est souvent qu’en 2015 qu’on en voit les résultats. Or après trois mois déjà, on me demandait : alors, vous en êtes où maintenant ?
La première année, nous avons énormément investi dans l’explication de notre accord de politique aux gens. Nous avons parcouru tout Borgerhout. Nous en avons retiré beaucoup de feedback. J’ai aussi appris à connaître beaucoup de gens et d’organisations.
Il y a deux ans, vous nous aviez dit : « Si on veut faire tout ce à quoi on s’est engagé dans l’accord de majorité, on travaillera presque jour et nuit. » Comment tenez-vous le rythme ?
Zohra Othman. Je continue à travailler à mi-temps comme avocate. Mais l’énergie que je mets dans le travail pour le district, j’en reçois plus du double en retour. C’est très gratifiant. Cela fait plaisir quand des gens vous disent à quel point ils sont contents de cette équipe dirigeante.
Et, évidemment, j’ai beaucoup de soutien de mes camarades du PTB Borgerhout et des présidents de groupe du PTB dans les autres districts, avec lesquels il y a une concertation mensuelle.
Borgerhout
• Un des 9 districts de la ville d’Anvers
• 46 181 habitants
•11 842 habitants par km2 (le district le plus densément peuplé d’Anvers)
• 26,4 % des habitants ont moins de 18 ans (le district le plus jeune d’Anvers)
Article publié dans le mensuel Solidaire de janvier 2016. Abonnement.
Réagir à cet article ? Envoyez un mail à redaction@solidaire.org.