Frédéric Gillot (PTB) : « Vous la voyez, vous, la différence entre la baffe de l'austérité et la gifle de la rigueur ? »

C’étaient les Fêtes de Wallonie le week-end dernier. L’occasion pour le ministre-président wallon, Paul Magnette (PS), de faire sa rentrée politique. Un discours axé sur l'avenir, la jeunesse, la création d’emploi et la transition industrielle. Mais, dans moins d'une semaine, les 2 et 3 octobre, le gouvernement wallon sera en conclave budgétaire. « La fête avant le pain noir », titre Le Soir. Frédéric Gillot, député wallon PTB, réagit.

La Wallonie avait-elle le cœur à la fête le week-end dernier ?

Frédéric Gillot. Hélas, je ne sais pas s’il y avait beaucoup à fêter, ce w-e, quand on voit les mesures d’austérité qui vont être mises en place. La fonction publique va trinquer. Ils ne vont remplacer qu’un fonctionnaire sur cinq partant à la retraite : c’est du jamais vu. La qualité du service public va en pâtir. Les budgets vont être réduit dans les TEC (les transports publics wallons, NdlR), dans le FOREM et donc notamment dans l’accompagnent des travailleurs sans-emplois. Les 60.000 travailleurs concernés par les aides à la promotion de l'emploi (APE) ont aussi de quoi s’inquiéter : on parle de 5 à 7% de coupes dans ces subsides. Ces emplois sont pourtant indispensables au fonctionnement des communes et d’une grande partie du secteur associatif et non marchand. Ces nouvelles ne me donnent pas le cœur à la fête, non.

Magnette déclare qu’on ne peut pas parler d’austérité mais de rigueur car le gouvernement wallon a décidé de « ne pas toucher directement au pouvoir d’achat des gens et de travailler plutôt sur les moyens de l’action publique »…

Il y aurait une austérité de droite et une rigueur de gauche? Cela ne change rien : c’est dans la poche des familles qu’ils vont aller chercher.

Frédéric Gillot. Je vois mal comment une réduction du budget des TEC n’aura pas de répercussion sur les gens. On peut appeler cela « rigueur » ou « austérité » - ils utilisent pas mal de termes différents pour nous faire croire qu’il y aurait une austérité de droite et une rigueur soi-disant de gauche ou du centre – cela ne change rien : c’est dans la poche des familles qu’ils vont aller chercher, dans la poche des jeunes, des travailleurs, de ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts. La Région va par exemple imposer aux communes d’être à l’équilibre budgétaire. Ce qui va signifier concrètement que les communes n’auront pas le choix : elles devront soit supprimer des pans entiers de leurs services ou les privatiser, soit inventer de nouveaux impôts. Ces taxes ne viennent pas de la Région mais seront provoquées par la Région. D’une manière ou d’une autre, les gens vont être touchés.

Magnette veut faire quand même preuve de « pédagogie », de « concertation », montrer qu’il y a une différence entre l’austérité et la « rigueur respectueuse des uns et des autres »…

Frédéric Gillot. Nous, les citoyens, les travailleurs, serions trop bêtes. Le gouvernement doit faire preuve de pédagogie pour nous expliquer pourquoi on doit ramasser « une baffe dans la figure », nous expliquer la différence entre la baffe de l'austérité et la gifle de la rigueur. Toujours est-il que, quelle que soit la pédagogie, cela fait bien mal quand on la reçoit dans la figure. Il oublie que les citoyens ont appris à lire, appris à écrire, appris à réfléchir aussi. Ils peuvent comprendre les conséquences des mesures que Paul Magnette compte prendre, qu’elles viennent du masque de l’austérité de droite ou de la rigueur de gauche.

Le grand thème du discours de Paul Magnette lors des Fêtes de Wallonie, c’est la « priorité aux jeunes ». Qu’en pensez-vous ?

Je vois mal une jeune demander à sa banque un emprunt en disant : « Voici la fiche de paie de ma première expérience professionnelle. »

Frédéric Gillot. J’ai trouvé cela indécent. Au 1er janvier 2015, 20 000 jeunes wallons vont être exclus du bénéfice de leurs allocations de chômage. Eliane Tillieux, nouvelle ministre wallonne de l’Emploi (PS), a déclaré récemment qu’elle s’opposait à obliger les chômeurs de longue durée à accepter des travaux d’intérêt général. Je soutiens bien évidemment cette position. Mais que fait-on des dizaines de milliers de jeunes qui vont bientôt être exclus du chômage ? Ensuite, il faut bien lire la Déclaration de politique régionale. Les jeunes sont effectivement au centre de toute une série de dispositifs. Le premier, c’est ce que j’appelle le « carrousel à l’emploi ». Qu’est-ce que cherche un jeune aujourd’hui ? Se lancer dans la vie, pouvoir s’établir. La solution de Magnette, c’est offrir une première expérience professionnelle. La nuance est de taille. On ne parle pas d’emploi. Je vois mal un jeune demander à sa banque un emprunt pour un appartement en disant : « Voici la fiche de paie de ma première expérience professionnelle. » Le jeune va se faire sortir dehors, dans la seconde.

Mais le problème avec ce que Magnette propose va plus loin : de bons emplois vont se transformer en emplois précaires, d’une durée d’un an maximum, d'une durée équivalente à la première expérience professionnelle, puis ce sera au tour du jeune suivant. Bref, c’est le carrousel à l’emploi. Un jeune remplacera le jeune sortant. Et cetera. On parle enfin très peu de tous les autres travailleurs sans-emplois, ceux qui ont aujourd’hui de 30 à 50 ans. Pour eux, la réalité restera la même : formation sur formation sur formation. Il y a une semaine encore, j’étais convoqué au FOREM comme chômeur avec complément d’entreprises (mon statut de député ne m’épargne pour l’instant pas des contrôles du FOREM, figurez-vous, en tant que prépensionné d’Arcelor). J’y ai rencontré une femme d’une cinquantaine d’années, d’apparence assez frêle, qui a reçu une formation pour devenir grutier ! Elle avait travaillé auparavant dans la vente. Chaque fois qu’elle postulait, la réponse était invariable de boutique en boutique : elle était trop âgée…

L’autre solution de Paul Magnette est de cibler des réductions de cotisations sociales sur les entreprises qui embauchent des jeunes.

Créer de l'emploi serait leur première responsabilité? Aucune création d'emploi public n'est prévue !

Frédéric Gillot. Cela fait des années que ces mêmes recettes sont appliquées. Cibler les aides sur les moins qualifiés, cibler sur les jeunes… Mais cibler des aides n’a jamais créé d’emplois ! Le ministre-président de la Région wallonne prétend que créer de l'emploi est leur première responsabilité. Mais il n'y a en même temps aucune création d'emploi public prévue dans la Déclaration de politique régionale wallonne. Au contraire, on va même supprimer des emplois dans le public ! Je me demande aussi pourquoi la Région laisserait toujours au privé la création d'emplois industriels. Il y a quand même des sérieux avantages à avoir de l'emploi industriel public. Quand une entreprise est publique, les dividendes ne vont pas dans la poche d’actionnaires privés. Et, en plus, le public a le contrôle sur l’emploi. Ce qui n’est pas le cas avec les ArcelorMittal, Doosan, Ford Genk, Caterpillar…

La Wallonie est quand même dans une période de transition industrielle d’après Magnette, qui évoque la fin d’une certaine industrie comme chez Doosan (où plus de 300 travailleurs sont menacés de perdre leur travail) mais annonce une redéploiement économique via le plan Marshall?

Frédéric Gillot. D’abord – et ce n’est pas moi qui le dis, c’est Philippe Defeyt, le président du CPAS de Namur – le Plan Marshall, c’est majoritairement des emplois subsidiés, grassement subsidiés. Ensuite, on entend Paul Magnette s’enorgueillir de développer des emplois de pointe dans la haute technologie. Mais c’est quand même interpellant de voir comment le gouvernement wallon accepte la destruction d’emplois privés (Arcellor, Caterpillar, Doosan…) et publics. Cela me fait bondir.

Le Plan Marshall wallon, c’est quand même la création d’emploi, non ?

Le Plan Marshall, c’est donner des cadeaux aux entreprises en espérant qu’elles créent de l’emploi. La nuance est de taille.

Frédéric Gillot. Non, c’est donner des cadeaux aux entreprises en espérant qu’elles créent de l’emploi. La nuance est de taille. Doosan, cette entreprise du Borinage qui a annoncé récemment le licenciement de plus de 300 personnes, montre la faillite de la politique de cadeaux. Je suis allé au piquet de grève de Doosan avec Raoul Hedebouw (député fédéral PTB, NdlR). J’ai pris une photo de la tête de Raoul avec derrière un panneau adossé à la grille de l’entreprise. On y voit que c’est avec beaucoup de fierté que l’Union européenne et la Région wallonne ont investi dans cette entreprise. Cette entreprise ferme pourtant. Alors qu’elle fait des bénéfices, qu’elle a payé un impôt ridicule de 1,43 % et a reçu toute une série d’aides publiques. Est-ce qu’il y a une volonté de réclamer le remboursement de ces aides publiques ? Pendant la campagne électorale, tout le monde en parlait. C’était, pour tous les partis politiques, le bon sens. Maintenant, plus personne ne revendique cela à part le PTB… Les premiers assistés, les plus gros allocataires du pays, ce sont ces multinationales-là. Rappelons InBev, rappelons Mittal, voyons toutes les multinationales du pays – le PTB a fait pas mal d’études là-dessus – les plus gros assistés du pays ne sont pas les chômeurs, c’est les patrons des grandes entreprises.

Pour Paul Magnette, « la culture de l’entrepreneuriat n'est pas encore assez répandue chez les jeunes Wallons »…

Paul Magnette, c’est donc : « fais ce que je dis mais surtout pas ce que je fais »

Frédéric Gillot. Tant qu’on y est, mettons la faute sur les jeunes ! Pas de souci. Stigmatisons-les comme on stigmatise les travailleurs âgés, les travailleurs sans-emploi. Il n’y aurait pas assez de volonté d’entreprendre. Et encore une fois, constatons que pour la Région wallonne, il n’y a aucune ambition de créer de l’emploi public. C’est donc : « fais ce que je dis mais surtout pas ce que je fais » (rires). Soit, le 19 octobre, je vous invite à Bruxelles. Le PTB organise sa Protesparade. C'est une bonne occasion de manifester contre les politiques d'austérité qui seront mises en place par les différents gouvernements du pays. Il y aurait 12.000 nouveaux multi-millionnaires apparus l’année passée. De l'argent, il y en a donc pour financer un plan pour un renouveau social, écologique et démocratique. Soyons dans la rue. Les avancées sociales sont toujours venues de là et il en sera encore ainsi !

Protestparade, dimanche 19 octobre à 14 heures.